Quand Marseille spoile la stratégie de Netflix. Episode 1, Du local au global

Depuis le 5 mai, Marseille est disponible sur Netflix. Au-delà du peu d’enthousiasme qu’elle a suscité chez la critique, la série est étonnamment riche en enseignements sur la stratégie du géant américain en termes de contenus originaux. Au travers d’une petite série d’articles (2, peut-être 3), nous verrons ce que Marseille révèle sur les méthodes de production, le positionnement, et les objectifs du leader mondial de la SVOD. Rassurez-vous, les éventuels spoilers concerneront exclusivement la stratégie de Netflix, pas l’intrigue de Marseille.

Le premier de cette série d’articles est intitulé Episode 1 : du local au global, un peu comme un pilote qui permet d’exposer la psychologie et les motivations des personnages. Sans revenir sur la grogne des sériesphiles et de la critique, ni sur les éléments de langage de l’équipe en réponse, ni sur le tumblr des meilleures répliques de la série, nous découvrirons dans ce premier volet que Marseille, en plus d’être une série française, est une série qui se veut moderne, qui veut vivre avec son temps, et voyager. Quant à Netflix, son quotidien serait tellement plus simple si elle pouvait tout prévoir avec ses algorithmes… mais ceux-ci sont-ils toujours infaillibles?

Marseille, une production locale…

Quelques mois avant le lancement de Netflix en France, dans un climat de tension avec la sphère politique et de défiance de la part des défenseurs de la création française, l’annonce par Netflix de la production d’une série française d’envergure arrivait à point nommé pour rassurer l’ecosystème sur les intentions du géant américain. Le message était le suivant : à défaut d’être soumise aux obligations de financement de la création française, son siège étant situé à Amsterdam, Netflix allait soutenir la production française de manière directe en faisant profiter les talents locaux de ses budgets faramineux. Une stratégie efficace, qui a permis à Netflix de s’installer sans que ses opposant ne perdent la face. Et une promesse par ailleurs tenue, si l’on en croit les efforts pour que le tournage ait lieu en décors naturels et avec la contribution des habitants de Marseille. Mais la série saurait-elle se satisfaire d’un destin national?

… au service d’ambitions internationales

imagesAu gré de ses impératifs (notoriété de sa marque, renforcement de son offre,…) sur un territoire donné, Netflix produit des contenus originaux locaux. A l’instar de Marseille pour la France, et de Club de Cuervos ou Narcos pour l’Amérique Latine. Mais la plateforme est désormais accessible depuis presque toute la surface du globe. Là où un contenu français lambda sera principalement distribué auprès du public français, Netflix confère à ses contenus originaux une distribution mondiale immédiate.

Par rapport au budget investi, le bassin d’audience et de recrutement d’abonnés potentiels est donc considérable. Peut-être moins attendus dans le reste du monde que dans le pays cible, les contenus originaux locaux viennent en effet alimenter l’offre de Netflix en contenus frais dans chacun de ses territoires. Et la mise à disposition de manière simultanée dans tous les pays réduit le piratage. En contribuant à la profondeur du catalogue accessible dans le monde, les séries locales s’inscrivent donc bel et bien dans les objectifs internationaux de la plateforme.

L’internationalisation des contenus, une opportunité économique

Cette stratégie d’intégration verticale de la production pour une exploitation mondiale n’est pas nouvelle. Même en France, comme le montre notamment ce portrait du producteur Pascal Breton dans Les Echos. L’internationalisation de la production et/ou de la distribution des contenus tend néanmoins désormais à se systématiser. Chez Studio Canal notamment, mais également chez France Télévisions, aux fins revendiquées d’exporter l’exception culturelle française. Développer l’exploitation d’un contenu auprès de cibles plus large est une opportunité économique. C’est également désormais une nécessité pour les contenus à gros budget. Et chez Netflix, c’est l’essence-même du business modèle depuis 2011.Capture d’écran 2016-05-11 à 21.15.09

Cela a-t-il une influence sur la manière de produire le contenu? Certainement. Les codes de narration et le rythme de la réalisation doivent correspondre aux standards internationaux. En terme de casting également, une tête d’affiche de renommée internationale comme Gérard Depardieu est la garantie de susciter l’intérêt au-delà de l’hexagone. Et peu importe que le recours à notre Gégé national nécessite quelques artifices sur le tournage, c’est lui que veut Netflix pour incarner le maire de Marseille !

Grâce aux algorithmes, des contenus universels ?

Et pourquoi sur ce sujet ne pas citer Vincent Bolloré, dans son argumentation pour une internationalisation des sketchs des Guignols de l’Info : « les caractères, qu’on soit en France, en Amérique ou en Asie, sont à peu près les mêmes.  Il y a évidemment quelques différences locales mais globalement, les caractères sont tous les mêmes ». C’est juste : les sentiments et les émotions n’ont pas de frontières. Les ressorts dramatiques non plus. Donc une belle histoire, qu’elle se déroule sous nos fenêtres ou dans de lointaines contrées, sera toujours une belle histoire.

Les studios américains peuvent déjà se targuer de quelques sagas au succès planétaire. Netflix peut-elle pousser cette logique encore plus loin en s’appuyant sur ses données, et créer des contenus « universels » capables de toucher le public de la même manière partout dans le monde ? Il semble que pour le moment les tentatives de Netflix en ce sens, pourtant validées par ses algorithmes, n’ont pas été très heureuses. Marco Polo n’a pas réussi à faire de l’ombre à Game of Thrones, et Sense8 révèle une intrigue confuse sur fond de village global. Comme quoi chez Netflix comme à Marseille, malgré les calculs, tout ne se passe pas toujours comme prévu.

To be continued…

Recommended Posts

Start typing and press Enter to search